Interview de Samantha Bailly

Samantha Bailly

Aujourd’hui sort Kotori, le chant du moineau écrit par Samatha Bailly dont nous avions pour la première fois évoqué le travail d’écriture en chroniquant le livre pour enfants La princesse au bol enchanté, Pourtant c’est surtout dans la réalisation de nombreux romans que cette auteur a bâti sa réputation. L’un d’eux, Oraisons, a même remporté le Prix Imaginales des Lycéens en 2011.

Lorsque pour Japan Expo 2013, on nous a offert l’opportunité de l’interviewer, nous avons saisi sans hésiter cette occasion d’en découvrir un peu plus sur cette écrivaine de talent.

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 Couverture du livre jeunesse Kotori, le chant du moineau de nobi nobi ! Oraison - Samantha Bailly

 

Comment en es-tu arrivée à l’écriture de roman ? Était-ce quelque chose que tu avais en toi depuis longtemps ?

Effectivement, dès l’âge de 12 ans, j’écrivais déjà des romans et rêvais de pouvoir en vivre un jour. Je me souviens très clairement des fiches à remplir en début d’année à l’école, ma réponse à « Quel métier souhaitez-vous faire plus tard ? » était toujours « Écrivain ».  J’habitais dans un coin perdu en Normandie, autant dire qu’il n’y avait pas grand-chose à faire là-bas. Je m’occupais donc en lisant, en regardant des animés et en jouant à des jeux vidéo. Ces médiums m’ont beaucoup influencée et c’est probablement de là que l’envie de raconter des histoires est née.

Vers 13 ans, j’ai commencé par publier mes écrits sur le web pour pouvoir en discuter.
Peu à peu, une petite communauté s’est formée autour de mes textes.

Est-ce que cette communauté t’a aidée pour être édité ?

A plus d’un titre. Cela m’a permis d’obtenir des conseils, y compris de personnes issues du monde professionnel. C’est de cette manière que j’ai pu rencontrer Miya, une mangaka éditée chez Pika qui a réalisé la couverture de mon premier livre. Étant plus âgée et expérimentée que moi, son soutien et ses encouragements ont été un moteur.

Mais elle ne fut pas la seule à me soutenir, au fils du temps, une petite communauté d’une centaine de lecteurs a commencé à me suivre régulièrement. Mon premier roman est sorti en 2009 chez Mille Saisons, un micro éditeur. Le jour où Mille Saisons a lancé les pré-commandes, nous avons été surpris par le nombre d’achats ! Il s’agissait de lecteurs qui me suivaient depuis des années dans la lumière ou dans l’ombre.

Je dois beaucoup à ce premier éditeur. Il y avait une grande implication personnelle de sa part qui n’était pas seulement financière. De 2009 à 2012, nous avons sillonné les routes de France pour faire découvrir les ouvrages. C’était une véritable petite famille !

A présent ta communauté de fans est-elle beaucoup plus importante ?

Indéniablement. Ils sont environ 1500 à suivre mon travail de près sur Facebook. J’essaie d’aider ceux qui veulent se lancer dans l’écriture en leur donnant les conseils que j’aurais aimé avoir à mes débuts.

Maintenir ce lien est très important : c’est une façon de partager les coulisses de mon travail en cours et pas seulement du dernier roman sorti.

Il faut savoir qu’entre le moment où j’ai fini un livre et celui où il est publié, il peut s’écouler plus d’un an. C’est primordial de pouvoir parler avec ses lecteurs des projets sur lesquels je suis en train de travailler au jour le jour et non pas seulement d’évoquer les ouvrages qui sortent en ce moment. Souvent, un roman qui sort fait déjà partie du passé à mon échelle.

Ce qui est génial avec cette communauté, c’est qu’une grande partie d’entre eux forme un noyau dur qui suit tout ce que je fais, même si, a priori, ils ne sont pas le « public type », comme par exemple lorsque j’ai travaillé sur un conte pour enfants avec nobi nobi.

Justement, comment en es-tu arrivée à écrire le conte pour enfants La Princesse au bol enchanté qui semble assez lointain de ce que tu fais d’habitude ?

J’ai rencontré Olivier (un des deux fondateurs de nobi nobi) un peu par hasard sur un salon. Ce premier contact ayant été chaleureux, nous avons échangé nos cartes. Un an plus tard, il m’a recontactée car nobi nobi  cherchait un auteur pour adapter le conte traditionnel de La princesse affublée d’un bol. J’ai passé un test qui s’est avéré concluant, et c’est ainsi que l’aventure a commencé ! nobi nobi avait déjà choisi Ein Lee comme illustratrice, pour mon plus grand plaisir.

 Couverture du livre La Princesse au bol enchanté Ein Lee (Japan Expo 2012)

Mon rôle était de lire les différentes versions existantes du conte traditionnel, puis de sélectionner avec nobi nobi les points clef que nous voulions garder. Il s’agissait aussi de s’adapter au format de la collection Soleil Flottant. J’ai donc réécrit, remanié, coupé, synthétisé…

Ça a l’air très cadré, qu’est-ce qui t’a poussé à accepter de faire quelque chose où finalement tu es beaucoup moins libre que pour l’écriture de tes romans ?

C’est précisément parce que c’était très différent de ce que j’ai l’habitude de faire que j’ai été tentée par ce travail. C’est un exercice de style qui force à aller dans une direction nouvelle, ce qui est toujours enrichissant. De plus, j’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les créations de nobi nobi.

Quels ont été tes rapports avec Ein Lee, l’artiste qui a illustré ton texte ?

Je n’ai pas eu d’interaction directe avec Ein Lee durant l’élaboration du projet. Je me suis chargée du texte et nobi nobi de la direction artistique. Évidemment, ils me montraient les planches au fur et à mesure, mais c’est leur rôle de donner les indications aux illustrateurs.

As-tu envie de renouveler l’expérience du conte pour enfant ?

C’est déjà fait, avec Kotori le chant du moineau qui sort début septembre. Comme pour le précédent, j’ai réadapté un conte traditionnel japonais.

Compte tenu de ton activité de romancière, n’as-tu pas envie d’inventer ton propre conte pour enfants ?

Effectivement, ça me tente beaucoup, j’ai justement un projet en cours avec eux qui va dans cette direction, mais ce serait prématuré d’en dire plus…

Peux-tu revenir sur tes débuts, à t’entendre, devenir écrivaine s’est fait relativement facilement. As-tu pu rapidement vivre de l’écriture ?

Facile n’est pas le mot adéquat, vivre de l’écriture est un réel défi. Même si j’ai très tôt su que c’était ce que je voulais faire, peu de personnes m’ont prise au sérieux.
Comment leur en vouloir ? Une gamine de 12 ans qui affirme vouloir devenir écrivain, cela a de quoi provoquer des sourires condescendants.

Tes parents voyaient d’un mauvais œil cette passion ? T’ont-ils freiné ?

Disons que j’ai baigné dans un cadre familial « original ». Mon père est ingénieur du son en indépendant, et ma mère pratique le billard français en championnat et élève des Maine Coon… Ils m’ont très vite mis en garde et ont tenté de m’orienter vers des professions plus stables. Cela n’a jamais été une source de conflit, plutôt une forme de tension permanente.  Ma mère était du genre à m’envoyer 15 offres d’emploi par jour « juste au cas où » lorsque je lui ai dit que je me lançais, il y a un an.

Ayant eux-mêmes expérimenté la précarité, ils auraient été plus rassurés de me voir passer l’Agrégation, par exemple. Mais c’est cela, devenir adulte : parler et agir pour soi-même, peu importe les attentes extérieures.

On peut dire qu’au final, les chiens ne font pas des chats : mon frère est lui aussi devenu ingénieur du son en freelance. Freelance et auteur, ce ne sont pas les métiers les plus « stables » qui existent. (rires) Et honnêtement, à présent, je crois qu’ils sont très heureux de nos choix de vie !

Ayant vécu de l’intérieur cette précarité, tu étais bien placée pour savoir ce qu’elle implique, est-ce que cela ne t’a pas un peu effrayé ?

Disons que cela a eu une certaine influence sur mes choix d’études supérieures. Je n’étais pas naïve au point de croire qu’il suffisait de vouloir être auteur pour que cela fonctionne miraculeusement. Après mon Bac L, j’ai donc fait un  Master de littérature comparée doublé d’un Master de lettres appliquées aux techniques éditoriales et à la rédaction professionnelle. Ce diplôme m’a permis de continuer à développer ma curiosité intellectuelle tout en m’assurant un filet de sécurité pouvant m’aider à rebondir en cas de problème.

Je ne regrette pas cette orientation. Ensuite, en parallèle de mes études, j’ai travaillé chez Ubisoft, assurant ainsi ma survie financière tout en me laissant la possibilité de continuer à écrire.
Ce boulot alimentaire fut capital, car même si je suis publiée depuis cinq ans, je ne vis de mes écrits que depuis un an.

As-tu décidé de plaquer ton emploi de salarié lorsque tu as eu assez d’argent pour vivre de l’écriture ?

Ça ne s’est pas passé dans cet ordre là. J’ai été embauchée chez Ubisoft pour une mission bien spécifique, je savais bien qu’une fois celle-ci terminée, mon travail s’arrêterait chez eux. Le bon côté, c’est que l’arrêt du contrat est arrivé au moment où sont tombés énormément d’acceptations de manuscrits. Après bien des hésitations, en voyant que finalement, je commençais à gagner correctement ma vie, j’ai décidé de me lancer.

Au-delà de l’aspect économique, cette expérience en communication au sein d’Ubisoft fut très formatrice pour comprendre les enjeux de l’industrie créative, de la communication et du marketing. D’un point de vue social, j’ai adoré travailler en open-space. Je ne suis pas comme certains auteurs qui fuient le contact humain pour écrire, pour moi, c’est tout l’inverse.

Ce lien social ne te manque t-il pas maintenant que tu n’es plus chez Ubisoft ?

En réalité, j’ai toujours une vie similaire à ce que j’avais avant. Mon éditeur Bragelonne a eu la gentillesse de mettre à ma disposition un petit bureau où je vais écrire régulièrement. Ainsi, j’évite de me scléroser, je peux avoir tout aussi bien des discussions autour d’un café que des échanges d’idées et d’opinions constructives liées à l’écriture de mes projets en cours.

Par exemple, lorsque j’ai besoin d’avoir des conseils pour l’élaboration d’une scène de combat, je peux m’adresser à l’un de mes collaborateurs qui fait des arts martiaux et peut me faire une démonstration en direct. Pratique, non ? (rires)

Aller au bureau permet de structurer ses journées. Parfois, lorsque j’ai vraiment besoin de me concentrer sur un sujet précis, je reste chez moi, mais je préfère quand même m’imposer ces déplacements parce que cela aide aussi à décrocher quand je rentre chez moi le soir.

Cette méthode me rend plus efficace et m’aide à garder un rythme constant d’une à deux pages par jour. Conserver un rythme est important car l’écriture est comme un muscle, j’ai besoin d’écrire tous les jours pour ne pas perdre le fil.

Comment se passe la conception initiale d’un livre et son déroulement ? Dois-tu rendre des comptes à intervalle régulier ?

C’est très différent selon les éditeurs. Lorsque je veux présenter un nouveau projet, je planifie un scénario avec un découpage assez clair du roman. A partir de là, si l’éditeur est d’accord, je peux commencer. Pour certains, le synopsis suffit, d’autres ne travaillent qu’avec des manuscrits aboutis. Il n’y a pas un processus similaire.

N’es-tu pas tentée au cours du développement de ton histoire de revoir drastiquement l’orientation de ton livre au fur et à mesure que tu avances ? Comment cela se passe si par exemple tu veux revoir à la hausse ou à la baisse le nombre de pages ou encore la fin du roman ?

Je suis assez structurée dans ma façon de travailler. Comme je balise en amont la construction du roman, je fais rarement des écarts, toutefois si le besoin s’en fait sentir, il est toujours possible de discuter avec l’éditeur – pour peu que je ne lui demande pas de doubler le nombre de pages initialement prévues.

 Lignes de vie - Samatha Bailly Ce qui nous lie - Samatha Bailly

Étant donné la taille de la communauté de fans qui suit ton travail, n’as-tu jamais été tentée par l’autoédition afin d’être plus libre sur le contenu éditorial ?

Pas du tout. Comme je l’ai expliqué, mon premier éditeur était un micro éditeur avec peu de moyens. Il fallait énormément participer y compris pour la logistique, ainsi, je me suis retrouvée à tenir le stand, à vendre les romans de mes collègues, à porter des cartons… Avec un éditeur de taille plus importante comme Bragelonne, qui m’édite actuellement, le travail de communication que nous faisions en un an est réalisé en un mois.

Je peux ainsi économiser mon temps et mon énergie, même si je participe toujours autant activement à la promotion.

As-tu d’autres activités en dehors de cela ?

Je donne des cours particuliers de littérature à des étudiants, et fais des interventions scolaires. Par exemple, depuis maintenant 5 ans, je vais régulièrement dans une classe de collège de ZEP. Les élèves doivent lire au minimum les 7 premiers chapitres d’Oraisons afin qu’ils puissent travailler sur le texte, poser des questions, élaborer des panneaux…

Je suis très sensible à la question de la scolarité. En tant qu’élève, même en ayant une grande avidité d’apprendre, il y a des moments où l’on décroche du long débit de paroles d’un enseignant. Personnellement, j’aime apprendre. J’aime qu’on me transmette. Mais j’ai besoin de recevoir à ma façon : c’est-à-dire en me sentant touchée, en créant du lien avec les informations. Savoir pour savoir ne m’a jamais parlé, je veux savoir pour comprendre autre chose. Dans mon cas, je voulais savoir pour écrire. La fiction, c’est assimiler des éléments pour les métamorphoser. C’est ainsi que je suis passée d’élève moyenne à très bonne élève.

C’est une quête personnelle, trouver vers quoi converge ce que l’on veut apprendre. Il peut d’ailleurs y avoir de nombreux points de focal. Trouver les miens m’a permis de ne pas partir dans la vie sans boussole. Car lorsque l’on vous remet votre petit diplôme, qu’il n’y aura plus ces satanées heures de cours dans votre agenda, vous vous retrouvez soudain seul. Il n’y a plus de barrière entre vous et le monde. Juste vous et vos choix.

Durant les interventions, je rencontre des élèves en échec scolaire. Je me souviens notamment de l’un d’entre eux, l’année dernière. Quand il a su que j’avais travaillé dans le domaine du jeu vidéo, son regard s’est éclairé, il m’a bombardé de questions. Je lui ai dit qu’avant tout, pour devenir professionnel dans ce secteur, il fallait maîtriser l’anglais. Il a dit alors, choqué : « Ah ben en fait, ça sert à quelque chose, les cours d’anglais ! »

As-tu eu des retours de ces interventions ?

Une année, les élèves m’ont offert un magnifique livre d’or réalisé par leurs soins. Ils avaient compilé des lettres, des fiches de personnages, des commentaires. Ce livre m’a énormément touchée.

As-tu d’autres envies comme par exemple de faire des scénarios de bande dessinée ?

Ça me tente beaucoup, mais tout comme pour le conte pour enfant, j’attends une bonne opportunité pour me lancer.

Avant de conclure peux-tu nous parler de ton actualité ?

En septembre, j’ai deux parutions : Kotori, le chant du moineau, chez nobi nobi !, mais aussi À pile ou face, un thriller jeunesse chez Rageot. En 2014, je sortirai un roman contemporain intitulé Stagiaires (le titre en dit déjà beaucoup !) chez Milady.

 A pile ou face -Samantha Bailly Couverture du livre jeunesse Kotori, le chant du moineau de nobi nobi !

Merci beaucoup pour cette interview, nous sommes impatient de découvrir tes prochains ouvrages.

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