Chapitre 6 : Play again

De-nulle-part-a-nulle-part_06

Chaque dimanche nous publions un nouveau chapitre du livre De nulle part à Nulle part, voici le chapitre de la semaine :

 

Fiche Technique
Staff
Personnage
Entreprise
Galerie

La venue de Rémo ne se passa pas comme espérée, quelques heures avant son arrivée, la neige avait déjà commencé à tomber pour ne plus s’arrêter du week-end. Avec un tel temps, même si la route du col avait été dégagée, Emeric n’aurait pas pris le risque de faire une randonnée dans une neige aussi fraîche.

Étant condamnés à rester bloqués dans la maison, le week-end s’était soldé, non pas autour d’un feu de cheminée, mais à la chaleur bienveillante d’une console surchauffée par une session intense de Forza et autres Need for Speed.

Cette petite séance de jeux vidéo fut pour eux comme un retour à leurs années de lycée, à une époque où la vie paraissait beaucoup plus simple et légère à Emeric. Par la suite, avec le chômage récurrent de ses parents et les difficultés financières qui en avaient découlé, ses études supérieures lui avaient semblé bien pesantes. Il n’avait jamais manqué de rien sur le plan matériel, mais faute d’argent, il s’était beaucoup restreint dans ses activés. Il regardait à deux fois avant de faire la moindre sortie avec ses amis. Ses refus répétés le faisaient parfois passer pour un asocial ou pire, pour un radin.

Cette situation l’avait rendu bien plus studieux que ce que ses proches auraient attendu de lui. Était-ce lié à la peur de redoubler avec les fâcheuses conséquences financières que cela entraîne ? Est-ce que le fait de ne pas avoir d’argent pour sortir l’avait incité à être plus assidu dans son travail ? A moins que les études ne soient tout simplement devenues pour lui une échappatoire à la situation familiale tendue dans laquelle il vivait. Aller étudier dans sa chambre était le meilleur moyen pour se changer les idées et ne pas se retrouver immergé dans les tensions que vivaient ses parents.

Rémo avait compris ce que ressentait son ami sans qu’il eut besoin de lui expliquer. Lui aussi avait connu une situation similaire. De par son caractère plus enjoué et enthousiaste, il avait bien mieux vécu cette mauvaise passe que son compagnon d’infortune. De nature passionnée, il ne s’était en apparence jamais laissé affecter par sa situation familiale. D’une certaine manière, lui aussi s’était réfugié dans le travail. Son intérêt pour les voitures l’avait poussé à faire un boulot à mi-temps dans un garage en parallèle de son diplôme d’ingénieur. Cette activité annexe avait rendu sa vie à la fois dense et stimulante. Il préparait régulièrement des véhicules pour des compétitions amateurs ce qui lui servait d’exutoire. Cette expérience pratique lui avait permis de décrocher facilement un emploi chez un constructeur. Pourtant, après deux ans, il avait fini par démissionner afin d’ouvrir son propre garage où il développait des pièces dites « performances ».

Emeric n’avait jamais vraiment compris ce choix, pas plus que les motivations de la clientèle de Rémo. Qu’est-ce qui pouvait pousser des gens à foutre en l’air autant de pognon pour améliorer leur voiture au lieu d’économiser leur argent pour s’en payer une qui soit déjà performante à la base ? La première fois qu’il mit les pieds dans son garage, ce fut uniquement pour le dépanner. L’entreprise de Rémo existait depuis seulement un an et les liquidités manquaient pour embaucher du personnel. Quand l’associé de Rémo s’était retrouvé à l’hôpital pour une semaine, Emeric avait accepté de le remplacer pour tenir la caisse du magasin pendant que Rémo s’occupait de l’atelier.

Pour être honnête, malgré sa formation de commercial, Emeric redoutait de se confronter à cette clientèle qu’il ne comprenait pas. Il ne pouvait se sortir de la tête les archétypes de l’amateur de tuning dont il avait pu voir quelques spécimens gratinés dans des salons spécialisés où Rémo l’avait traîné de force. Les individus qu’il avait croisés dans ce milieu l’avaient laissé sceptique. Comment pouvaient-ils s’enthousiasmer autant pour quelques centimètres gagnés en largeur d’ailes ou de pneus ? Les plus déconcertants étaient ces étranges spécimens qui trouvaient formidable de remplacer un volant sécurisé avec airbag incorporé par un truc primitif en métal brut, orné d’un « Momo » en son centre.

- Sérieusement, Momo, ça sonne comme une abréviation de prénom : Monique, Maurice, Mohamed, va savoir d’où ça vient. Peu importe que ce volant soit confortable à tenir. Le logo pique tellement les yeux que je ne pourrai jamais conduire avec un truc pareil.

Pour Emeric, de telles modifications n’étaient pas forcément les pires. Certains cas relevaient à ses yeux au mieux de la bêtise, au pire de la psychiatrie. Où est l’intérêt de mettre une installation sono tellement puissante qu’il est nécessaire d’avoir un casque anti bruit pour être à l’intérieur ? Et que dire de ces voitures transformées en ramasse-miettes à cause de suspensions surbaissées qui les empêchent d’aborder un ralentisseur de face ?

Ce qui était le plus frappant pour Emeric, c’était le concentré d’incohérences de certains véhicules. Pour gagner en performance, de nombreux propriétaires se ruinaient en remplaçant les pièces d’origine par des pièces plus légères, alors qu’en parallèle, ils l’alourdissaient allégrement avec des haut-parleurs surdimensionnés, des revêtements de tableau de bord en cuir et un grand nombre de gadgets lumineux ou chromés complètement inutiles.

Dans la même veine, que penser de cette tendance « Racing » qui pousse ces bricoleurs du dimanche à poser un arceau de sécurité dans l’habitacle alors qu’ils n’ont aucune intention de mettre un pneu sur un circuit ? Au-delà du non-sens économique, se trouve aussi une aberration pratique. Cette structure métallique encombrante a souvent l’inconvénient de condamner les places arrière. Pour autant, certains propriétaires ne se donnent même pas la peine d’enlever les sièges pour gagner un peu de poids, histoire de rendre le véhicule un minimum cohérent.

C’est avec l’esprit encombré par ces appréhensions qu’Emeric se mit derrière le comptoir du magasin de Rémo. Au fil des jours, il dut admettre que la clientèle de son ami l’avait agréablement surpris. Son garage ne faisait pas dans le décoratif, mais dans l’efficace. Ceux qui venaient acheter chez lui cherchaient à améliorer leur voiture sur le plan technique. Tous n’étaient pas des amateurs de circuits, mais il est vite apparu qu’ils aimaient tirer le meilleur parti de leur véhicule. Compresseur, turbo, barre anti-rapprochement, radiateur à huile, volant moteur et vilebrequin allégés, suspensions réglables… Emeric s’était vite retrouvé complètement dépassé par ces clients qui en savaient bien plus que lui.

Ne pouvant conseiller qui que ce soit, il avait assisté à des scènes surréalistes où deux clients débattaient entre eux pour aiguiller au mieux un troisième. La passion qui animait cette discussion était palpable. La subjectivité n’avait pas sa place dans ce débat, seuls les arguments techniques comptaient. Toute la difficulté était de déterminer les besoins en fonction des usages. Pour se sortir d’affaire et mettre un terme à ce long débat, Emeric était allé chercher Rémo à la rescousse dans son atelier. Au lieu de clore la discussion, Rémo l’avait relancée. Ce jour-là, le débat s’était terminé bien après l’heure de fermeture autour d’un verre.

Même si Emeric s’était senti largué la majorité du temps, cette expérience lui avait permis de mieux comprendre pourquoi Rémo avait choisi d’abandonner un poste stable chez un grand groupe pour aller monter sa propre affaire dans un environnement économique incertain. Ce n’était pas seulement la liberté qu’il recherchait, mais la possibilité de rester dans un milieu chaleureux de gens animés par une passion commune.

Ce cadre donnait à Rémo une énergie très communicative, c’est pour cette raison qu’Emeric aimait le recevoir. Après avoir passé un peu de temps avec lui, on se sentait souvent dans un état paradoxal, à la fois épuisé et gonflé à bloc pour repartir.

Ce week-end passé ensemble, cloîtrés dans la maison à cause de la neige, fut lui aussi paradoxal. Tous deux étaient déçus de ne pas avoir pu aller voir la voiture dans la montagne, pourtant ils avaient apprécié cette ambiance intimiste qui leur avait permis de se retrouver un peu.

Avant de se quitter, Rémo fit promettre à Emeric de le recontacter dès que le temps permettrait de faire leur petite expédition montagnarde. Emeric fit un signe de la tête pour acquiescer. Il se doutait que vu la quantité de neige qui était tombée, il fallait attendre un moment pour pouvoir tenter à nouveau l’expérience.

Galerie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*


Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>