Chapitre 5 : Incrédule

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Chaque dimanche nous publions un nouveau chapitre du livre De nulle part à Nulle part, voici le chapitre de la semaine :

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Se parlant à lui-même, Rémo s’agace derrière son volant.

-    Ce GPS commence sérieusement à me faciliter le transit intestinal… Pourquoi il ne capte pas ces putains de satellites ? Allez quoi, c’est pas le moment de me planter au milieu des montagnes…
Bon ben c’est pas gagné… déjà que j’aurai dû arriver hier soir, Emeric va croire que je le fais exprès.
De toute façon, j’ai déjà un jour de retard, il ne va pas m’en vouloir pour quelques heures de plus…
Ce qui m’inquiète c’est qu’il commence à faire faim et que je ne me vois pas brouter au milieu des steaks sur pattes pour me caler le bide.
Purée, c’est pas la forme… J’arriverais peut-être à me rappeler le chemin si Emeric m’avait un peu laissé dormir au lieu de me tenir la grappe tous les soirs avec son délire de voiture d’alpiniste.

Rémo ne veut pas l’admettre ouvertement, mais l’histoire d’Emeric a fini par le titiller lui aussi. Il se remémore le scepticisme qui l’animait quelques jours plus tôt, lorsque son ami lui a raconté cette histoire délirante et qu’il n’a pas voulu en croire un traître mot. Les deux compères ont l’habitude de se faire marcher mutuellement avec des anecdotes à la limite du plausible, toujours basées sur le principe du « plus c’est gros, plus ça passe ». Mais cette fois Rémo n’a pas du tout cru à ce que son ami lui a raconté. Plus Emeric insistait, plus Rémo était convaincu qu’il blaguait. Piqué au vif et déçu par son attitude, Emeric a fini par se vexer et lui a raccroché au nez.
Sur le coup, Rémo était plutôt fier de lui, il n’avait pas démordu de sa position et ne s’était pas fait avoir, mais il restait quand même un peu surpris par la réaction un poil excessive de son ami. En temps normal, Emeric est beau joueur quand il perd. Son attitude l’étonne bien plus que son histoire de voiture.
 
Suite à cet appel, Emeric a eu beaucoup de mal à s’endormir tant il était rongé par l’agacement lié à l’incrédulité de son ami. Le lendemain, la fatigue se lisait sur son visage tellement clairement qu’il n’a pas fallu longtemps à son patron pour remarquer que son employé préféré n’était pas vraiment à ce qu’il faisait. Il avait déjà noté que sa jovialité naturelle semblait s’être évanouie depuis le début de la semaine, mais le visage décalqué qu’il affichait aux clients depuis ce matin montrait sans ambiguïté qu’il avait franchi un cap de plus.
 
Profitant de la pause, il aborda Emeric avec un regard dur et un ton chargé de reproches.

-    Emeric, j’ai un petit souci avec vous.

Emeric soupira intérieurement :

-    Comme si la journée n’était pas assez pénible comme ça, il faut qu’il choisisse ce moment-là pour me saouler. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire de travers ? C’est bien la première fois qu’il a quelque chose à redire sur mon travail.
 
-    J’ai regardé les fiches du personnel, et apparemment, vous n’avez pas pris de vacances depuis plus de 16 mois…

C’est vrai, se dit Emeric, je ne m’en suis même pas rendu compte… C’est pas surprenant, entre les RTT, les ponts et ce boulot pépère, j’ai un peu l’impression d’être tout le temps en vacances. Mais bon, je me vois mal lui expliquer ça…
 
Devant l’absence de réaction d’Emeric, son patron continua :

-    Je ne voudrais pas vous forcer la main, mais comme c’est un peu calme en ce moment et que le temps est magnifique, que diriez-vous de prendre quelques jours de repos ? Et puis, ça m’arrangerait que vous ne cumuliez pas trop de jours de congés.

C’est en grande partie à cause du caractère subtil de son patron qu’Emeric aime travailler ici. Malgré ses airs bourrus, il a vite compris que cet homme sait lire entre les lignes pour proposer son aide sans jamais se montrer intrusif.
D’un simple regard et sans dire un mot, ils savaient qu’ils étaient sur la même longueur d’onde. Emeric accepta la proposition sans sourciller, l’occasion de retourner là-bas était trop belle. Il brûlait d’envie de prendre quelques photos qui prouveraient qu’il n’a pas rêvé.
 
Le lendemain Emeric partit à la recherche de cette mystérieuse voiture. Cette fois-ci, il ne comptait pas se laisser prendre au dépourvu, il embarqua une carte, une boussole, un sac de couchage, deux GPS et assez de nourriture pour tenir trois jours.
En soupesant son sac, il se rendit bien compte qu’il était passé d’un extrême à l’autre. Il ne comptait pas partir plus d’une journée, mais n’étant pas certain de réussir à retrouver le chemin en si peu de temps, Emeric a préféré prendre un surcroît de provisions.
 
Jouissant d’une excellente mémoire visuelle, retrouver un chemin ne lui pose pas de problème en temps normal, cependant il devait tenir compte du fait que la dernière fois, il n’avait pas suffisamment mangé. Sa mémoire a pu en souffrir. Rien ne prouvait qu’elle ne soit pas aussi embrumée que les bancs de brouillard qu’il a dû traverser pour rentrer.
 
Il reprit la route sur laquelle il avait marché pour tenter d’identifier l’endroit par lequel il était arrivé. Dès qu’il trouva l’accès, il gara sa voiture, enfila ses chaussures de marche et continua à pied à travers les pâturages. Il se retourna régulièrement pour tenter de reconnaître le chemin du point de vue de quelqu’un qui descendrait. Cette méthode fonctionna assez bien au début, mais plus il avançait et moins il était sûr de lui.

-    J’aurais déjà dû apercevoir cette foutue route, elle a quand même pas disparu.

Il se posa un moment pour scruter les environs et découvrir ce que le brouillard avait occulté à sa vue. Le paysage avait quelque chose d’enchanteur : une source coulant au-dessus d’un abreuvoir en pierre, une voie ferrée abandonnée recouverte de végétation, un épervier volant au-dessus d’un bouquetin aux cornes élancées. La seule ombre qui venait gâcher ce tableau bucolique était un paquet de biscuits bleu vif, situé aux pieds de l’animal. C’est pour ce genre de raison qu’Emeric n’aimait pas aller dans les lieux fréquentés par les promeneurs, ils laissent toujours des détritus derrière eux.
 
Au moins, ce paquet de biscuits a eu le mérite de lui rappeler qu’il n’avait pas encore mangé et que la faim commençait sérieusement à se faire sentir. Après avoir englouti son sandwich et un demi-litre de soda, il décida qu’une petite sieste serait la bienvenue pour récupérer un peu.
La fatigue due à la digestion et la marche était là, mais curieusement le sommeil tarda à venir. Une pensée avait commencé à travailler son inconscient dès le début du repas. A présent que la faim était apaisée, son esprit était disposé à réfléchir activement. Emeric ressentait un agacement similaire à celui que l’on a lorsqu’on sait qu’on a oublié quelque chose sans pour autant arriver à se souvenir quoi. Puis, tout d’un coup, tout lui sembla clair.
 
Bien sûr ! Ce qui le travaille c’est le paquet de biscuit qu’il a vu tout à l’heure ! Il n’y a pas de randonneurs par ici, ce paquet est donc forcément celui qu’il a laissé juste après avoir repéré les phares de la voiture. Il se redressa, pris ses jumelles pour observer l’objet. Pas de doute, c’était bien la même marque. Il se remit en marche dans sa direction. Ce paquet est forcément tout près de la route, il reconnaîtra probablement l’endroit une fois là-bas.
 
Malgré son enthousiasme retrouvé, Emeric redoutait qu’une fois arrivé au niveau du paquet, il ne soit pas plus avancé. Même si c’est bien son paquet, rien ne dit qu’un animal ou le vent ne l’a pas déplacé. Il se demande aussi s’il sera capable de retrouver le chemin qu’il a emprunté. Il faisait noir et il y avait du brouillard. Comment pourrait-il avoir gardé en mémoire le moindre repère ?
 
Ses craintes s’envolèrent bien avant qu’il n’ait atteint le paquet. Ses yeux parvenaient déjà à distinguer au loin le rail de sécurité de la route. Il sentait qu’il touchait au but, mais essayait de tempérer sa joie. Avant de se réjouir, il voulait être sûr que c’était la bonne route et que la voiture était encore dessus.
 
Il franchit le rail au même endroit que la dernière fois et n’eut pas à marcher longtemps pour retrouver la voiture. Elle n’avait pas bougé d’un pouce, la clé était toujours sur le contact, mais l’argent qu’il avait laissé sur le tableau de bord avait disparu. Trois jours s’étaient écoulés depuis qu’il avait dormi dedans, soit le propriétaire avait récupéré l’argent, soit un autre promeneur s’était servi. Il ouvrit la portière et s’installa au volant. Machinalement il tourna le contact et la fit démarrer pour entendre de nouveau le son du Flat 6. En y réfléchissant, cela remontait à longtemps la dernière fois qu’il a pris le temps d’apprécier le son d’un moteur.
 
Alors que son regard s’attardait sur l’aiguille de compte tours, ses yeux se posèrent avec étonnement sur la jauge d’essence. D’après ce qu’elle indiquait, le réservoir était plein.
 
Il semblerait que la personne qui a récupéré l’argent s’en soit finalement servie pour faire le plein. Ça veut donc dire qu’il y a bien quelqu’un qui s’en occupe, se dit Emeric à lui-même. Pourtant, il imaginait assez mal une personne venir dans cet endroit escarpé et loin de tout juste pour entretenir cette voiture bloquée sur son bout de route.

-    Ce n’est pas possible, il y a forcément une habitation dans le coin…

Il gagna le point le plus haut situé en amont de la route afin d’avoir une vue panoramique des environs. Mais il ne vit rien, ni chemin d’accès, ni maison.
Cette ascension ne fut pas complètement vaine car sur cette hauteur, il pouvait faire un plan large de la voiture et des extrémités de la route. Une fois la photo prise, il retourna sur ses pas pour faire quelques clichés du véhicule. Il avait pris soin d’embarquer le trépied de l’appareil pour pouvoir poser sur les photos et prouver à Rémo que ce n’était pas une simple image glanée sur le net.
 
De retour chez lui, il envoya tel un trophée les quelques clichés qu’il avait pris. Mais l’email de réponse fut aussi bref que décevant : 

-    Pas mal ton montage Photoshop, j’ai presque failli marcher pendant un quart de dixième de seconde.

Emeric est plutôt de nature calme, mais l’incrédulité de Rémo commençait à lui taper sur les nerfs autant qu’un épisode des Télétubbies.
Alors que la colère était en train de lui donner la teinte d’une borne d’incendie, une idée lumineuse surgit de cette rage contenue. Il alluma son GPS pour retrouver les coordonnées du lieu où il était.
 
Quelques instants plus tard, Rémo reçu un email sans aucun mot, avec juste un lien à cliquer.
La page qu’il afficha finit par convaincre Rémo de la véracité de l’histoire de son ami. Sur la photo aérienne de Google Maps qui s’affichait sur son écran, il pouvait clairement distinguer une voiture noire garée sur un bout de route perdue dans la montagne sans la moindre habitation à 30 km à la ronde.
 
Rémo voulut alors trouver une explication logique. Pour ce genre de choses, internet a réponse à tout. Mais après avoir cherché en vain pendant des heures, il dut se résigner. Ses sentiments étaient mitigés, il était partagé entre frustration et excitation. Étonnamment il se sentait stimulé par cette histoire, un peu comme un gamin qui s’apprête à aller au parc d’attractions.
Quelque chose qui avait l’air aussi irrationnel travaillait énormément son imaginaire de fan d’Harry Potter, mais pas au point d’en perdre pour autant son sens critique et son esprit d’analyse. Il restait convaincu qu’il y avait forcément une explication logique derrière tout ça et que cela valait la peine de se déplacer pour démystifier cette histoire.

 

 

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